Après un rapide aller-retour de quelques minutes sur la Côte d'Azur
ce qui se faisait très couramment - plus précisément dans les calanques de la ville de Cassis qu'il affectionnait tant - Marc revint dans sa ville natale Soulac-sur-mer, l'air de rien, où ses parents l'attendaient à la maison. Enfin,
techniquement, personne ne l'attendait, Marc s'était bien gardé de dire à Isabelle et Maxence Bretodeau qu'il allait faire quelques photos à 800 km de chez eux. Il leur confessait d'ailleurs rarement qu'il s'éclipsait quelques minutes aux quatre coins de la France.
Depuis que son pouvoir d'hypervitesse s'était manifesté l'an dernier, les deux parents de Marc s'échinaient à lui ordonner de ne jamais aller très loin
en pure perte manifestement, par peur qu'ils ne se blesse. Les deux girondins s'inquiétaient pour rien : quand il activait son pouvoir, Marc ne risquait absolument
rien. Courir à la vitesse de la lumière c'était voir un monde parfaitement immobile autour duquel on pouvait se mouvoir sans crainte d'être blessé. Marcher dans le musée Grévin, en somme, mais voir de jolis paysages en plus : sans douleur et sans risque. Et puis voir la mer, les montagnes, les menhirs de Bretagne ou la tour Eiffel à Paris en quelques minutes, ça n'était donné à personne à part à lui, alors pourquoi s'en priver ? Surtout que Marc était bien décidé à offrir à ses parents pour cadeau de Noël un album photo particulièrement fourni, de toutes les destinations de vacances où ils pourraient partir plus tard, à trois. Et pour ça, il redoublait d'ingéniosité et de mensonges
"Je vais chez Thomas pour jouer, à tout à l'heure !", dont il était au final assez fier puisque ses parents le croyaient à chaque fois. Puis c'était pour la bonne cause, après tout.
Le jeune particulier arriva dans sa maison familiale à Soulac, non loin de Bordeaux. De la chambre du haut – sa chambre – on voyait aisément l'océan, et l'océan : Marc adorait ça. C'était d'ailleurs là qu'il passait le plus clair de son temps à jouer avec ses copains. L'été particulièrement, car se baigner entre amis restait le plus beau des plaisirs, mais l'hiver aussi, car Marc adorait le calme et les grands espaces, emmitouflé dans une bonne écharpe. Depuis l'an passé, il était devenu compliqué de s'amuser avec Thomas et Nicolas sans leur avouer qu'il était devenu spécial (papa et maman n'avaient pas voulu l'ébruiter) - un
brin plus rapide - mais ils s'amusaient cependant toujours beaucoup tous les trois. Thomas était son meilleur ami depuis l'enfance et Nicolas s'était greffé au duo depuis qu'il avait emménagé dans le voisinage. Bref, ils s'adoraient.
Quand Marc franchit la porte d'entrée de la maison, à quelques pas de l'océan, il comprit que quelque chose clochait. La porte était entrouverte et là où régnait toujours une ambiance animée et joviale se faisait entendre un silence pesant. Son appareil photo autour du cou, le garçon avança à pas de loup dans le salon :
- Maman ?Le cœur de Marc manqua un battement quand il aperçut ses deux parents trônant au milieu du salon. Maman allongée par terre, papa étalé grossièrement sur le dos du fauteuil, les vêtements tachés de sang, les yeux clos : Isabelle et Maxence semblaient dormir.
Là où habituellement papa se reposait devant les infos et où maman s'occupait du repas du midi, un silence glacé envahissait la salle à manger.
Ce que voyait Marc semblait irréel et le petit garçon mit plusieurs secondes avant de comprendre que tout ceci n'était pas une blague. Jamais ses parents ne se seraient amusés à lui faire une blague aussi peu drôle.
Jamais ils n'auraient voulu l'effrayer et pourtant : Marc était tétanisé.
Le garçon se serait écroulé par terre en pleurant si l'urgence de la situation ne l'avait pas interpellé : une ombre, projetée par la lumière de la porte-fenêtre, dissimulait presque le cadavre de ses parents.
C'était l'ombre d'une créature immense, pourtant – c'était clair -
invisible. Il n'y avait personne dans le salon à part lui. Enfin, pas tant que ça en fait, en levant les yeux Marc réalisa que du rouge semblait flotter dans l'air. C'était le même rouge qui tachait la veste de maman et la chemise de papa : du sang. Puis très vite, le rouge bougea, l'ombre se déplaça vers Marc. Le petit garçon lança un regard au sol et découvrit avec horreur que la forme humanoïde qui avançait (du moins c'était ce que son ombre semblait annoncer), venait de laisser s'échapper trois énormes tentacules de son visage.
Sans réfléchir, les yeux exorbités, Marc enclencha son pouvoir pour déguerpir. Il faillit perdre l'équilibre tant ses jambes flageolaient et sentit même quelque chose frôler le bras. Mais il se reprit et sans attendre, transit de peur, fila : il courut, courut, aussi vite qu'il le pouvait. Marc aurait pu s'arrêter quelques centaines de mètre plus loin, une fois la créature semée : il savait que personne au monde ne pouvait le rattraper. Pourtant, la peur de cette créature l'incita à ne jamais s'arrêter. Il la savait invisible et il savait que dès que ses bras ou l'une de ses tentacules l'attraperait, il subirait le même sort funeste que ses parents.
Alors Marc courut, à perdre haleine, les larmes aux yeux, dans la nuit noire et disparut à jamais de Soulac-sur-Mer.
***
“La perte d’une mère ou d’un père est le premier chagrin que l’on pleure sans eux.”